Dès la réouverture des frontières, en 1944, les collections belges apparues durant la Seconde Guerre mondiale vont rapidement disparaître et leurs auteurs avec elles. Il faut dire que la concurrence avec la France est particulièrement inégale. Entre 1945 et 1950, les grandes collections emblématiques du genre vont apparaître et se développer de manière fulgurante, en surfant notamment sur l’américanophilie très présente à la Libération : « Série Noire » chez Gallimard en 1945, « Un Mystère » aux Presses de la Cité en 1948 ou encore « Spécial Police » au Fleuve Noir en 1949 vont inonder le marché.
Ne restent plus aux auteurs belges les plus chanceux ou les plus talentueux qu’à se recycler, voire à s’y faire oublier tant la période de guerre est largement entachée par les liaisons qu’éditeurs et auteurs entretenaient avec l’occupant. Certains s’orientent vers des genres moins concurrentiels. Thomas Owen et Jean Ray approfondissent alors la veine fantastique, tandis qu’André-Paul Duchâteau et Maurice Tillieux s’investissent dans la bande dessinée. D’autres abandonnent toute velléité de reconnaissance littéraire et deviennent, sous divers pseudonymes brouillant l’origine auctoriale, les chevilles ouvrières de l’édition populaire française : Paul Kenny (en fait Jean Libert et Gaston Vandenpanhuyse), Peter Randa (en fait André Duquesne) ou encore Benoît Becker (en fait José-André Lacour) pour ne citer qu’eux, produiront ainsi des centaines de titres dans les genres les plus populaires : policier, science-fiction, sentimental et ce, pour certains, jusque dans les années 1980.
À partir de la fin des années 1950, l’activité éditoriale française connaît un âge d’or dans le milieu des littératures populaires et de grande consommation. Il peut paraître étonnant d’y constater la surabondance d’écrivains belges œuvrant sous pseudonyme. C’est notamment le cas d’une série d’auteurs qui, inquiétés à la Libération, voyaient là une bonne occasion de se faire oublier. Mais que ce soit pour des raisons politiques ou symboliques (il n’est pas toujours bon de signer ce type de roman de son vrai nom lorsqu’on aspire à une reconnaissance littéraire), de nombreux exilés vont alimenter massivement les rotatives des imprimeurs français.
C’est, entre autres, le cas de Jean Libert et de Gaston Vandenpanhuyse qui vont publier, principalement sous le pseudonyme de Paul Kenny, plusieurs centaines de romans dont la très populaire série des Francis Coplan. Plus tardivement, André Duquesne, sous le pseudonyme de Peter Randa, publiera également plus de 200 romans dans tous les genres populaires.
Fondées en 1949 par l’imprimeur André Gérard et son ami Jean-Jacques Schellens, les éditions Marabout vont révolutionner le marché du livre en lançant la première collection francophone de livres de poche : « Marabout Collection ». Son histoire et son succès témoignent de l’aventure éditoriale belge qui, elle aussi, a participé à la diffusion du roman policier. Si Marabout, par son approche généraliste et populaire, ne s’est jamais vraiment spécialisé dans un genre précis, son parcours, riche et mouvementé, croise à plusieurs reprises celui du policier.
Au-delà des titres disséminés dans ses différentes collections, Marabout créera la collection « Le Gibet » qui, de 1955 à 1957, publiera des romans policiers historiques. Il participera aussi, en rééditant dans les années 1960 les enquêtes de Monsieur Wens de Steeman, à remettre cet auteur majeur au devant de la scène. Pour le public jeunesse, dans la célébrissime collection « Marabout Junior », plusieurs romans policiers belges inédits seront publiés. C’est notamment le cas de certains Bob Morane du prolifique Henri Vernes mais surtout de la série des Nick Jordan et ses 41 titres signés André Fernez.